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Private Equity

« Avec l’investissement à impact, on a une obligation de résultat »

Du chocolat à la holding

Bavard, à coup sûr, mais surtout authentique et passionné ! Trois mots, parmi d’autres, pour une personnalité qui a fait de l’impact, le fil rouge de sa vie. Benoît de Bruyn, la cinquantaine heureuse, est un passionné de nature depuis l’âge de 6 ans. “J’ai dû être membre de toutes les associations belges de protection de la nature. Tous les samedis, je me levais à 6 heures pour aller observer des oiseaux. À 15 ans, j’aidais le Musée d’histoire naturelle pour le recensement des chauves-souris”. Ingénieur en chimie et bioindustries, Benoît de Bruyn s’est spécialisé en “cleantech” et en finance. Il travaille pour Jan De Nul et La Floridienne, avant de décider, à 29 ans, de créer sa propre entreprise. Ce sera Newtree, marque de produits chocolatés améliorés nutritionnellement. “On a été pionnier sur le Fairtrade et la première société belge alimentaire neutre en carbone”. L’aventure l’amènera, avec sa femme et leurs quatre enfants, jusqu’à San Francisco. “J’ai été négocier chez Walmart, Target,… À un moment, nous étions présents dans près 5 000 points de vente aux Etats-Unis”. Newtree se fera rattraper par le Covid en 2020. Un coup d’arrêt qui lui servira de tremplin pour lancer la holding Newtree Impact. “Tout ce que je fais, c’est pour la planète. Je suis vraiment malade de voir le rythme auquel elle se dégrade”. La “tech”, dit-il, fait partie de la solution. “Mais ça ne fait pas de moi un technophile ! Agir avec sobriété est également important.” P.-F.L.

 

En avril 2020, après dix-huit années en tant que fabricant et commerçant du chocolat durable et responsable belge Newtree, vous avez décidé de créer la holding Newtree Impact. Pourquoi cette reconversion ?

Le vendredi 13 mars 2020, personne ne l’a oublié, le gouvernement belge interdisait l’accès aux points de vente en raison de la crise de Covid. Deux semaines après, je convoquais le conseil d’administration de Newtree. J’avais fait tous les calculs: il fallait au minimum 1 million de dollars pour maintenir notre équipe américaine et les premiers Newtree Coffee que nous avions ouverts, dont deux à San Francisco et un à Bruxelles, et cela sans dégager le moindre revenu pendant plusieurs mois. C’était mission impossible. Lors de ce même CA, j’ai annoncé que j’avais pris la décision de créer ma propre holding d’investissement. Peu après ce conseil, Raymond Vaxelaire, qui était l’un des deux principaux actionnaires de Newtree, m’a appelé pour me dire qu’il était prêt à investir 1 million d’euros ! Un autre actionnaire a suivi dans la foulée. J’ai aussi eu l’occasion de rencontrer Frédéric Pouchain, ancien de la CNP et CEO de la holding Whitestone. Avec quelques autres investisseurs, on a fait une augmentation de capital pour lancer Newtree Impact.

 

Pourquoi avoir fait le choix de la holding plutôt que d’un fonds de capital à risque ?

Ce n’était effectivement pas le choix le plus simple. (sourire) Une explication tient au fait qu’un fonds d’investissement est limité dans le temps. Il vient un moment où il faut vendre les participations. Or, je ne pense pas qu’on va pouvoir résoudre la crise climatique en sept ou 10 ans. C’est un leurre. La holding permet de ne pas devoir couper les branches qui permettent de lutter contre la crise climatique. Par ailleurs, et c’est un avis plus personnel, je trouve que la structure financière des fonds n’est pas toujours en phase avec l’objet poursuivi. En créant Newtree Impact, nous voulions vraiment créer une structure axée sur le climat. Ça signifie que tous les projets dans lesquels on décide d’investir poursuivent un objectif climatique. Pour chaque dossier, on mesure, de façon très concrète et très précise, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’eau économisée, la réduction de la consommation d’énergie, etc. On se base donc sur des métriques climatiques très précises. En fait, on ne rentre même pas dans l’étude d’un dossier si l’entreprise ne s’est pas donné pour mission de développer une solution concrète pour lutter contre la crise climatique.

 

Pourquoi cibler, en priorité, le secteur de l’agroalimentaire ?

Certains ont parfois tendance à l’oublier, mais le poids du secteur agroalimentaire dans le réchauffement climatique est considérable. Il faut savoir que 26 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues à l’agroalimentaire. C’est le secteur le plus émetteur, mais aussi celui sur lequel, vous et moi, on peut avoir un impact immédiat en changeant la manière dont on s’alimente. Je vous donne trois autres chiffres : 70 % de la déforestation mondiale est liée à l’agriculture, 40 % des terres agricoles utilisées le sont pour la production de viande, 30 à 35 % de toutes les terres arables sont complètement dégradées. Ce sont des faits qui montrent que si on ne change pas toute la chaîne de l’agroalimentaire, on va droit dans le mur.

 

“Le secteur de l’agroalimentaire est plus émetteur de CO2, mais aussi celui sur lequel, vous et moi, on peut avoir un impact immédiat en changeant la manière dont on s’alimente.”

 

La mission de Newtree Impact est donc de soutenir les entreprises qui “révolutionnent” l’industrie agroalimentaire ?

Ça, c’est notre activité. Notre mission, et c’est une autre raison pour laquelle on a fait le choix de la holding, c’est de rendre l’investissement à impact accessible à tout le monde. C’est, par exemple, le jeune qui se lance dans la vie active et veut investir 10 euros par mois pour le climat. Aujourd’hui, il n’a pas accès à l’impact investing.

 

Jusqu’ici, Newtree Impact a levé près de 12 millions d’euros auprès d’investisseurs privés. La holding n’est donc pas ouverte à tout le monde…

Nous n’avons pas encore arrêté de calendrier, mais notre ambition est bien de nous ouvrir à l’épargne publique par émission de nouvelles actions.

 

Qu’est-ce qui différencie Newtree Impact de holdings ou de fonds qui sont gérés selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ?

La différence entre nous et des fonds ESG, c’est que Newtree Impact s’impose une obligation de résultat en termes de lutte contre le réchauffement climatique. On ne se place pas en acteur opportuniste qui va prendre un peu de “E”, de “S” ou de “G” avec l’objectif de mieux performer que les autres. Les sociétés dans lesquelles on décide d’investir ont été créées pour résoudre des problématiques liées au climat et à l’environnement.

 

Quels sont vos critères d’investissement ?

On a déterminé un screening particulier. Dans une première phase, on fait une analyse d’impact de la société dans laquelle on envisage d’investir. L’entreprise doit donc répondre à des critères d’impact afin qu’on puisse s’y intéresser. Dans une deuxième phase, il y a un screening plus économique et financier. Dans les investissements que nous avons réalisés depuis notre lancement en 2021, il y a une constante : c’est la scalabilité économique mondiale. On n’investira pas, pour prendre un exemple, dans un projet local de biogaz. On cible des sociétés qui sont en capacité d’étendre leur innovation technologique à l’échelon mondial, tout simplement parce qu’on veut avoir un maximum d’impact.

 

“Fable Food est notre 13e investissement”

 

Newtree Impact vient de réaliser son treizième investissement dans une “foodtech” australienne, Fable Food. Que propose cette start-up ?

Fable Food produit et commercialise des alternatives à la viande, 100 % neutres en carbone, à base de champignons shiitakes. Ces champignons sont riches en fibres et possèdent une saveur et une texture uniques, naturellement proches des arômes de la viande. La viande est l’aliment ayant le plus grand impact environnemental. Elle représente, à elle seule, plus de 50 % des émissions en CO2 du secteur alimentaire. Il est donc essentiel d’avancer sur des alternatives durables à la viande.

 

Vous annoncez aussi un doublement, de 600 000 à 1,2 million d’euros, de votre participation dans Aqua-Spark. Pourquoi déjà réinvestir dans cette holding néerlandaise ?

Il s’agit de notre tout premier investissement. AquaSpark est une holding spécialisée en innovation technologique dans une aquaculture responsable et responsable. Elle rassemble plus de 300 investisseurs dans plus de 25 pays.

 

Jusqu’ici, vous n’avez investi dans aucune “foodtech” belge. Vous ne recevez pas de bons dossiers ? On en reçoit, mais ils ne répondent pas encore à nos critères d’investissement. Par rapport à la biotech ou à la medtech, l’écosystème belge de l’investissement à impact dans la foodtech reste marginal. C’est dommage, car c’est une nécessité absolue dans le cadre de la transition. Des acteurs régionaux commencent à s’y intéresser, comme Noshaq et IMBC Spinnova (qui sont entrés dans le capital de Newtree Impact en janvier, NdlR). On a d’ailleurs permis à Noshaq d’investir dans Algama, société française qui va construire sa première unité de production en Wallonie. Algama s’est spécialisée dans la création d’ingrédients alimentaires à base de microalgues.

 

“L’écosystème belge de l’investissement à impact dans la foodtech reste marginal. C’est dommage.”

 

Sans toutes les citer, en quoi les sociétés de votre portefeuille innovent-elles ?

Si vous prenez Atomo Coffee, société de Seattle, elle a réinventé le café au travers de la revalorisation de déchets alimentaires. Ils récupèrent des noyaux de dattes, d’abricots et des peaux de raisins, qu’ils passent dans un système de torréfaction. Ça permet d’avoir 93 % d’émissions de CO2 en moins. Si Atomo réussit à prendre quelques pour cent du marché du café, l’impact climatique sera colossal. Cubiq Foods, société espagnole, a créé une émulsion de plantes qui, intégrée dans les burgers végétaux, donnent le goût de la graisse de viande. C’est un projet dans lequel nous sommes entrés à côté de Cargill. Là aussi, l’impact est colossal. EvodiaBio, société danoise, a développé un mélange aromatique innovant qui constitue une alternative au houblon, culture à risque sur le plan climatique, dans les processus de brassage de bière sans alcool. C’est 99 % de CO2 en moins !

 

Outre l’ouverture du capital de votre holding au public, quelles sont les prochaines étapes pour Newtree Impact ?

On a réalisé une augmentation de capital de 4,3 millions d’euros, en janvier, qui va nous permettre de réaliser cinq à six nouveaux investissements dans les mois à venir. Nous sommes déjà la recherche de nouveaux investisseurs. On espère attirer un ou deux investisseurs de référence qui pourraient nous aider à monter de catégorie dans nos futurs investissements.

 

 

La Libre Belgique – Samedi 8, Dimanche 9 et Lundi 10 Avril 2023

Fondateur et CEO de Newtree Impact, Benoît De Bruyn

Entretien Pierre-François Lovens

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